Sensible à la situation actuelle dans laquelle ils se trouvent ; Coralie Ruiz et Anthony Stephinson présentent Babble, leur première exposition à la Galerie Nuke. Ce titre évoque un monde qui n’a de cesse de déblatérer ; un monde particulièrement bavard dans des contextes culturels, où tous les jours, d’infinis effets de langage servent à imposer des structures sémantiques et visuelles. Le travail de Ruiz Stephinson, s’articule notamment autour des idéologies open-source et des expérimentations via des plates-formes numériques et nous permet d’appréhender au mieux ces structures en représentant l’espace d’accumulation qu’est Internet : une source intarissable, alimentée par les échanges communicationnels et émotionnels des gens, dans des formes linguistiques toujours plus déstructurées.
Le langage visuel de Ruiz Stephinson s’inscrit dans un équilibre subtil, à l’instar de ces tours en céramique émaillée, érigées symétriquement et stoïquement dans l’espace de la galerie. Ici l’imagerie de l’Internet est poussée à son itération finale : les sculpture s’érigent telles des figures étiologiques – des monuments revenus à l’état de nature – gangrénés par ce flux narratif qui submerge le 21ème siècle. La relation au modernisme n’est pas à négliger : ces œuvres sont autant d’éléments architecturaux, de constructions qui viennent restreindre notre irrationnel engagement envers l’immatérialité et la complexité des modes de communication qu’elle suppose. De même, les fragments composites de codes et d’images imprimés sur des plexiglas fluorescents témoignent de cette apothéose des temps modernes; ces bribes de langage proclament notre couronnement, dans un magma impondérable, propre à notre génération. Enfin s’extrayant de la vitrine, une main en néon lumineux rouge nous invite à penser la possible obsolescence de la digitalisation.
Pour conclure, s’il semble émerger de ces œuvres le sentiment de la déliquescence des infrastructures liées à Internet et notre dépendance face à elles, l’intention de Ruiz Stephinson est avant tout de proposer une alternative. Sur le haut des sculptures, des cookies sont offerts à la consommation, chacun porteur, dans une prose étrange et évasive, d’un présage pour des temps post-digitaux. Placés au sommet des colonnes, au milieu de l’espace de la galerie, le message demeure indéniablement optimiste, détournant notre attention de ce sentiment de fin irrévocable vers quelque chose de plus hospitalier. Les oeuvres rappellent ainsi, à leur manière, les interminables colonnes de Brancusi; le gazouilli indifférent et continu des comptes Twitter, des moteurs de recherches et des navigateurs y révèle sa nature même, dans la consommation que nous faisons de ce qu’elle nous offre, suggérant ainsi que le système qui le génère n’est autre que le résultat de notre propre création. En exposant cette connivence, il nous est offert la possibilité de mettre à nu notre enlisement dans ces sphères digitales tout en rappelant, de façon ironique, à ses pâles détracteurs de ravaler leurs propres mots.