Dans son livre récemment publié chez Odile Jacob, intitulé Tout à fait Femme, Barbara Polla s’interroge, entre autres, sur la créativité féminine, et cherche à explorer les raisons pour lesquelles, tout au long de l’histoire de l’art, les représentations glorieuses du corps et du sexe masculin par les artistes femmes sont si peu nombreuses, alors que les hommes auront représenté, et représentent encore, avec passion, le corps féminin et ses attributs sexuels. Cette exposition, présente une sélection – arbitraire comme le sont toutes les sélections –, de douze femmes artistes d’aujourd’hui qui travaillent sur le thème : Vanessa Beecroft (Italie), Leslie Deere (USA), Tracey Emin (Angleterre), Dana Hoey (USA), Katerina Jebb (Angleterre), Elena Kovylina (Russie), Sarah Lucas (Angleterre), Joanna Malinowska (Pologne), Maro Michalakakos (Grèce), Sabine Pigalle (France), Michaela Spiegel (Autriche) et Ornela Vorpsi (Albanie).
Le titre de l’exposition, Beautiful Penis, est inspiré de l’œuvre de Tracey Emin du même titre : Beautiful Penis est en érection, brodé, fragile, et fait s’envoler vers le ciel fleurs et étoiles dans la plus grande légèreté.
« Beautiful Penis » n’est pas à prendre ici au pied de la lettre. Il ne s’agit ici pas tant de la beauté de l’organeque de la beauté artistique et créative des représentations. C’est bien d’art dont il s’agit, et non d’anatomie. Il n’est pas de connaissance sans représentation, pas de représentation sans réflexion. Artistiquement parlant, le pénis / le phallus a été pendant ces derniers siècles essentiellement ignoré ou alors exploré comme organe violent – violant, entre tragique et dérision (dans les années 1970 une figure obligée de l’art féministe). Nous avons écarté ces approches- là, pour nous concentrer d’une part sur la question du pourquoi, et de l’autre sur les représentations du corps masculin et du pénis comme corps de gloire, de joie et de magnificence, sans en exclure le sourire, qu’il soit amusé ou émerveillé. Le moteur de création, pour les femmes artistes de Beautiful Penis, va de l’envie au désir et du désir au plaisir – le plaisir de créer, encore. Ambiguë, Tracey Emin occupe une position à part dans cette exposition à laquelle elle a donné son titre. TOO BIG, vraiment ?
Pascal Quignard, dans Le sexe et l’effroi, souligne combien « la vision du sexe masculin est terrifiante, même dans les sociétés où son ostentation la rend banale et sa fréquence dérisoire ». Quignard explore la dualité mentula / fascinus (pénis/phallus), cette « sémantique des deux états » concrétisée chez les Romains par la distinction entre l’homo (homme) et le vir (l’homme en érection, l’homme dans le désir), sémantique abondamment reprise par Bruce Nauman.
Sabine Pigalle nous propose un pénis de clown androgyne réminiscent des clowns de Nauman ou encore des amanites phalloïdes ; Joanna Malinowska, en « anthropologue culturelle » se réfère elle aussi à Nauman avec un Self-portrait as Penis envy. Entre envie et désir : Maro Michalakakos, Vanessa Beecroft et Elena Kovylina, les deux dernières dans une exploration quasi scientifique de la masculinité, entre art et science. Clairement dans le désir, le travail très important consacré depuis des années au pénis par Sarah Lucas, qui aura passé des matériaux les plus banaux (canettes de bières, cigarettes), au plus nobles et à la sculpture ; dans le désir aussi, le travail de Dana Hoey, photographe de l’étrangeté, qui affirme que le désir féminin est « a great feminist gesture ». Michaela Spiegel et Ornela Vorpsi se situent dans un désir ludique de représentations détournées, alors que Katerina Jebb et Leslie Deere nous surprennent par leurs représentations, olfactive et sonore respectivement, de la beauté sexuelle masculine.
Icône de l’exposition, le flacon de Katerina Jebb, Pulchra Mentula, reflète sa perplexité, et la nôtre peut-être aussi : l’artiste n’écrit-elle pas : « Oh Beautiful Penis, I have never tried so hard to decipher my own feelings about such an honourable and hauntingly perplexing subject ».