Au cœur des débats sur la fonction de la peinture de son époque, David West se détache de la morale, la proclame toute entière, la destine au beau et non à la vérité.
Comme le suggère le titre de l’exposition «Paradis Parfumé» il tente de tisser des liens entre le bonheur et l’idéal inaccessible, la violence et la volupté, entre le peintre et son tableau. Préférant lui-même s’affranchir d’un courant ou d’une école artistique, David West est avant tout un passionné du médium peinture, du plaisir pur dans le geste. Le style est nerveux, sec, son pinceau vif et saisissant, nous transportent dans un jardin d’Eden contemporain, autour des thèmes de la ville, de la musique, des femmes, de la nuit.
David West éclate l’espace, fait vibrer les corps et la narration, laissant place à la subjectivité de chacun, chaque composition comme autant de visions ambiguës et de témoignages sur notre époque.
«David West est le genre d’artiste qu’on a pour habitude d’appeler à New York «un peintre». C’était à l’époque une grande distinction, durement gagné. De Kooning était un peintre, Franz Kline ne l’était peut être pas, Rothko était un peintre, Barnett Newman était un conceptuel qui travaillait la peinture. C’est une chose presque indéfinissable, mais vous le savez sans trop que j’ai à vous l’expliquer, parce que vous pouvez juste le voir et le sentir vous-même.
Pourtant, je connais David West depuis presque une décennie, et l’été dernier il a eu une percée majeure après trente ans de peinture. Le genre d’illumination que vous avez si vous vous consacrez à un support et l’écoutez, le laissez pénétrer en vous jusqu’aux os.
Heureusement être un artiste ce n’est pas comme être dans un groupe de rock et c’est ce que Dave Hickey appellerait «une bizarrerie contemporaine» de rechercher des stars de l’art parmi la génération des jeunes de vingt ans . Il est logique que de bons artistes produisent leur meilleures oeuvres vers cinquante ans et c’est le cas pour les grandes figures des années 1960 - Rothko s’éleva à un autre niveau entre soixante et soixante-dix ans, Phillip Guston ré-inventa tout son langage à cinquante-sept ans et je pourrai vous parier que vous ne savez pas ce que Donald Judd a fait avant ses quarante ans.
Donc j’ai bien aimé les travaux antérieurs de David West mais je savais qu’il aurait un autre niveau. Dans les années 1990 et 2000, il a jonglé entre illustration et peinture figurative et je pensais que ses oeuvres étaient comme une sorte de Neue Sachlichkeit contemporain- proche de Otto Dix ou de George Grosz, dans les bars branchés de New York et de Paris. Je les aimais beaucoup mais je savais que j’attendais quelque chose d’autre.
Et puis, l’été dernier, c’est arrivé. Soudainement de nouvelles couches sont apparues. Principalement une couche d’abstraction psychologique et les échos de nouveaux fantômes. C’était comme si Ernst Ludwig Kirchner et Henri Matisse peignaient sur la même toile. Dès que j’ai vu «Loup Garou», je savais que je voulais montrer ces peintures. Je savais que c’était une série très étonnante et je suis vraiment heureux que Jenny Mannerheim et Judith Grynszpan aient vu ce que j’y ai vu et qu’elles soient désormais sur les murs de Nuke.
Je pense que seul un peintre comme David West, si imprégné de la néo-Avant Garde du New York des années 1980, contemporain et ami de Raymond Pettibon et Mike Kelley, est capable d’avoir réalisé ces peintures. D’une certaine manière leurs origines et attitudes sont enracinées dans la nouvelle figuration, dans le New York de Basquiat. Mais en même temps ces peintures ne pouvaient être conçues qu’en Europe, parce qu’elles véhiculent le langage de différents genres picturaux de l’Europe du
XXème siècle.
On retrouve Matisse dans « Loup Garou », Otto Dix dans « People With Secret », Ernst Ludwig Kirchner presque partout, car David voit la forme humaine à 99% comme étant fait de caractère et d’émotion. Il supportait assez mal les aspects terre à terre de la physicalité darwinienne et dessinait beaucoup comme Kirchner.
Le contemporain le plus proche de David West est probablement Jörg Immendorff. West et lui sont les héritiers d’une très forte tradition de la peinture Psycho Expressionniste Européenne, qui fut mise de côté et presque même récemment occultée par l’hégémonie des derniers jeux du cynique et ironique post-Duchampiannisme, polie par la néo-Avant-Garde des années 80 (Sherrie Levine, Jeff Koons, etc.) et achevée par les YBA.
Même si je respecte beaucoup ces artistes, l’époque de l’ironie Post-Duchampianisme est révolue. Elle pris fin durant les cinq mois allant de septembre 2011 - lorsque Maurizio Cattelan annonça qu’il prenait sa retraite - à Février 2012 - lorsque Mike Kelley mis fin à ses jours.
Quand les poids lourds de ce discours hégémonique, ceux qui en ont les médailles de champion , la maison à la campagne et les Oscars sur la cheminée, s’en tirent d’affaire si spectaculairement, on sait que ce discours est révolu.
Et je me demande ce que peut être, et comment on se souviendra, d’un mouvement d’histoire de l’art si obsédé par la démarche ironique et si paranoïaque vis à vis de la moindre recherche d’authentique émotion ou de spiritualité, que même les gagnants ont l’impression qu’ils ont perdus.
Puisque cette période est terminée, nous devons regarder vers les traditions de l’Avant Garde, qui n’étaient pas réellement présentes durant ces trente dernières années mais sont de nouveau dans la lumière et semblent bienfaisantes - la tradition post-Beuysienne et l’Arte Povera, qui, si on prête attention à un gros évènement comme la Biennale de Kochi-Muzuris cette année, ont l’air d’avoir trouvé de nouvelles ressources dans une jeune génération d’artistes internationaux. Artistes à l’échelle globale, qui défient l’idée que New York, Londres ou Paris ou n’importe qu’elle autre ville aurait le droit de se prévaloir d’être le centre de l’Avant Garde.
Et comme cette biennale annoncant le retour d’une sincérité Beuysienne, cette exposition marque le retour pour moi de la Grande Tradition de l’Existentialisme, critique sociale, l’Expressionnisme Européen émotionnel et stylistique, et je l’affirme avec deux E majuscule - le vieux grand truc, le vrai truc, le genre de peinture qui n’a pas peur et qui a de grandes ambitions. Qui veut raconter notre malaise et qui enfin sympathise avec les personnages de ses tableaux et critique la cruauté ambiante de la culture dans laquelle ils évoluent.
C’est un mouvement raffiné et profondément enraciné, qui semblait s’être achevé avec Francis Bacon, mais qui n’est jamais vraiment parti bien loin. Seulement il n’apparaissait plus trop dans les revues d’art. Mais comme la post-Arte Povera, il revient cette année.
Et dans son grand retour, il n’a pas forcément à être juste proposé par des Européens, et sera peut-être bien plus intéressant vu à travers le filtre des yeux d’un sérieux rock and roll intellectuel de Detroit.»
Robert Montgomery